Samedi, 7 septembre 2024

Zone tampon: les citoyens concernés sont une fois de plus mis à l'écart

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Joanie Duval
Joanie Duval
Journaliste
La zone tampon autour de la Fonderie Horne a pour résultat la relocalisation prochaine de 200 foyers. Photo: Joanie Duval
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Les citoyens de la zone tampon près de la Fonderie Horne de Glencore à Rouyn-Noranda ont encore une fois reçu les nouvelles les concernant par le biais des médias, reprise de mars 2023 où ils avaient appris de la même façon la création de la fameuse zone et leur propre relocalisation.

La ministre des Affaires municipales et de l'Habitation (MAMH), Andrée Laforest était à Rouyn-Noranda ce mercredi matin, pour annoncer les programmes d’aide financière destinées aux propriétaires et locataires de la future zone tampon en conférence de presse. 

Les journalistes ont reçu un breffage technique avant l’annonce pour démystifier les deux programmes qui comportent un grand nombre d’informations. L’ensemble des citoyens concernés par cette aide financière n’a toutefois pas pu en prendre connaissance et n’a pas été convié à l’annonce. 

« Il y a deux tables de consultation qui ont eu lieu ce printemps, donc on parle d’un nombre restreint, nous on était cinq propriétaires. On a eu la présentation du programme hier soir (mardi) à 20h. La conférence de presse avait lieu ce matin à 10h30. La grande majorité des citoyens concernés n’ont pas été informés; ils n’étaient même pas invités à la conférence de presse », a déploré Marie-Ève Duclos, porte-parole du regroupement des propriétaires de la zone tampon.

« Je trouve que pour l’aspect démocratique de l’exercice, et aussi par respect pour les personnes concernées, la méthode pour nous l’annoncer c’est déplorable. Ça été des semaines de rencontres, juste pour avoir la procédure pour notre consultation. Ce programme-là était supposé être déposé à la fin décembre. Donc on s’est beaucoup débattu pour avoir un processus plus long et plus respectueux qui laissait le temps aux personnes de prendre connaissance et de pouvoir se consulter. On ne voulait pas qu’encore une fois les citoyens et citoyennes de la zone apprennent ce qui les concernent aux nouvelles, mais c’est exactement ça qu’il s’est passé. Même ce matin, on empêchait les citoyens de rentrer dans la salle. Finalement la ministre Laforest est venue éteindre le feu en permettant aux citoyens de la zone de rentrer. C’est un gros manque de transparence je pense », a également témoigné Marc-André Larose, de l’Association des locataires de l’Abitibi-Témiscamingue, qui a soutenu les locataires qui ont participé aux consultations. 

Rappelons qu’en mai dernier les deux regroupements avaient exhorté le MAMH de prolonger les consultations concernant le programme d’aide financière et de leur donner accès à de l’aide professionnelle pour les guider dans leurs recommandations, deux demandes qui leur ont été refusées.

« Le comité des locataires s’est quand-même fait bousculer pendant le processus on va se le dire. On voulait se laisser des délais raisonnables pour la réception des documents qu’ils nous envoyaient et ça n’a pas été le cas. Il a fallu redoubler d’ardeur pour prendre connaissances des informations dans de très courts délais », a ajouté M. Larose.

Programme complexe et imprécis

Aux premiers abords, les deux programmes présentent des compensations financières généreuses, allant jusqu’à un maximum de 80 000 $ pour les locataires et 700 000 $ pour les propriétaires, mais plusieurs détails soulèvent des inquiétudes dans les deux groupes.

« Les premiers constats qu’on fait nous démontrent que le programme ne répond pas aux demandes qu’on avait émis lors des consultations. Juste la procédure pour faire une demande d’aide financière tient pas la route. On nous demande, avant même d’avoir une confirmation de notre admissibilité au programme et du montant d’indemnisation auquel on a droit, d’avoir procéder à la vente de notre maison, d’avoir racheter une nouvelle maison, d’avoir conclu un contrat avec un entrepreneur et d’acheter un terrain. Donc on demande aux gens d’avoir fait toutes les démarches, de s’engager, de vendre leur maison, de racheter autre chose, complètement à l’aveugle sans avoir de certitudes de ce à quoi ils vont avoir droit. Pour nous c’est vraiment une aberration. Un minimum aurait été un processus de préanalyse selon ce qu’on envisage » a affirmé Mme Duclos.

Le calcul proposé par le MAMH est également loin de satisfaire le regroupement des propriétaires. Il représenterait même un recul dans certains cas, notamment pour ceux qui voudraient reconstruire.

« Somme toute, on est capable de comprendre que le calcul va être effectué sur le coût neuf qui est établi sur le rôle de l’évaluation foncière, moins ce qu’on a vendu à Glencore. Mais cette donnée en particulier, c’est une donnée qu’on a contesté lors des consultations, puisque le coût neuf sur le rôle des évaluations foncières ne représente pas la réalité du marché immobilier, et encore moins la réalité du marché de la construction. J’ai fait le calcul pour mon immeuble, pour savoir à quoi ça arrive. Je connais comment ça coûte construire mon immeuble, je l’ai construit en 2021. Mon manque à gagner si je construis la même chose aujourd’hui va dépasser le 235 000 $ », a-t-elle expliqué.

Même si dans leur programme, plus de leurs demandes ont été entendues, des inquiétudes font surface également du côté des locataires qui subissent une grande pression dans le contexte économique actuel.

« Ce qui nous a été présenté hier, ça tenait en compte de plusieurs enjeux qu’on avait apporté lors des tables de consultation. Puis il y a plusieurs montants qui avaient été majorés pour mieux tenir compte des réalités qu’on exprimait. Je pense que le programme va couvrir une bonne partie des besoins. Il y a quelques bémols concernant par exemple l’indexation de certains montants. Notamment, les loyers maximaux admissibles pour le nouveau logement. Je me demande si quelqu’un dépose une demande dans quatre ans, est-ce que ces prix-là vont être encore représentatifs vu la flambée des loyers qu’on voit depuis quelques années », a déclaré Marc-André Larose.

Crise du logement accentuée 

Autant les locataires que les propriétaires, font face à des doutes quant à la facilité de se relocaliser, conscients de l’importante crise du logement à laquelle fait face Rouyn-Noranda.

« J’ai fait l’exercice ce matin, je suis allé sur les sites internet de vente de maisons. J’ai regardé les quadruplex comme le mien; est-ce qu’il y en a à vendre? Il y en a deux à vendre actuellement et il y en a sept situés dans la zone tampon. Et ceux qui sont à vendre ne correspondent pas du tout à ce que j’ai. J’ai fait le même exercice avec les jumelés. Il y en a beaucoup dans la zone tampon; il y en a 23. Donc actuellement à Rouyn, il y en a 8 à vendre. Donc c’est impossible de penser que tout le monde va être capable de se relocaliser dans de l’existant. Le marché immobilier le permet pas. Ce que ça veut dire c’est que ça va aggraver la pénurie de logement si on détruit des logements déjà existants. Ça va créer des augmentations de loyer, de la surenchère dans l’immobilier. C’est comme s’ils n’ont pas pris compte de cette réalité-là dans leur programme. Et il y a aussi beaucoup de personnes qui habitent dans la zone tampon qui sont âgés, qui sont à la retraite. Ils ne se rembarqueront pas dans des hypothèques ces gens-là », a indiqué Marie-Ève Duclos.

« C’est bien beau vouloir se reloger et connaître les sommes auxquelles on a droit, mais va falloir que ça pousse des immeubles. En ce moment, c’est sûr que la demande ne peut pas être comblée. On parle aussi de personnes admissibles au logement social, de personnes admissibles à d’autres programmes comme le logement abordable, qui n’est pas si abordable que ça quand on regarde les chiffres, c’est bien beau tous ces programmes, mais est-ce qu’on va en avoir du logement social. La demande à Rouyn-Noranda pour ça c’est déjà près de 200 ménages qui attendent plus ceux de la zone tampon qui s’ajoutent, ça risque d’être long comme attente, peut-être plus que 4 ou 5 ans », a renchéri M. Larose.

« Soutien et accompagnement »

« C’est le mot que la ministre a répété le plus souvent ce matin pendant la conférence de presse, c’est « soutien et accompagnement ». Je suis un peu sceptique sur ça, dans le sens que ça fait 15 mois qu’on nous a annoncé cette situation-là, puis depuis 15 mois on est laissé à nous-mêmes, donc j’ai des doutes pour la suite » a déclaré Mme Duclos.

Même son de cloche du côté des locataires, dont plus d’un se retrouve dans des situations vulnérables.

« Nous on a exprimé depuis le début qu’il serait important d’avoir du soutien. Il y a des personnes avec des taux de littératie moins élevés, le fossé numérique est aussi très large dans cette zone et beaucoup de personnes n’ont pas accès à internet. Et présentement le programme n’a pas été expliqué aux citoyens de la zone concernée. Ils sont venus faire une petite conférence de presse, mais quelqu’un qui n’était pas aux tables de consultation entend ça aujourd’hui et qu’il n’a pas internet, c’est assez complexe d’aller chercher les informations et de savoir ce qui nous attend avec ce programme-là » a manifesté Marc-André Larose.

Quittance de l’action collective

Selon les informations communiquées aux comités des deux regroupements, les propriétaires ont indiqué par communiqué qu’on leur demande « de renoncer à leurs droits dans le dossier de l’action collective par une quittance « complète, générale et finale » et ce sans aucune précision ou explication ». 

Rappelons qu’une demande d’autorisation pour une action collective contre Glencore et le gouvernement du Québec a été déposée en octobre dernier à la Cour supérieure par deux citoyens de Rouyn-Noranda concernant les émissions toxiques de la Fonderie Horne.

« L’admissibilité à l’aide financière va être conditionnelle à la signature d’une quittance, donc je vous dirais que sur le coup on était très fâchés de lire ça. C’est sûr qu’à ce stade-ci, pour nous le texte n’est pas si clair que ça. On va devoir le faire analyser justement par des bureaux d’avocats pour bien comprendre à quoi ils nous demandent de renoncer comme droits. On a posé la question hier, la réponse qu’on nous a donné c’est que vous renoncez à avoir une indemnisation pour des dommages équivalents. C’est-à-dire si on m’a donné 3000 $ pour déménager puis que l’action collective offre la même chose, comme j’ai déjà reçu une aide pour le déménagement je ne pourrais pas la recevoir une deuxième fois. Si c’est ça, on est somme toute à l’aise », a conclu Marie-Ève Duclos.

Pour consulter le programme d'aide financière aux propriétaires: Cliquez ici

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