C’est environ 500 personnes qui ont joint leurs voix à celles de Mères au front le 13 octobre dernier à Rouyn-Noranda, pour revendiquer le droit de « respirer un air qui ne menace pas leur santé ». L’auteure de ces lignes s’est entretenue avec Isabelle Fortin-Rondeau, chargée de projet de la campagne rouynorandienne de l’organisation activiste.
C’était le temps de la chasse à l’orignal, un long week-end de surcroit, rien n’aurait laissé présager la foule qui est sortie dans les rues de la capitale du cuivre. Il faut dire que l’ambiance était bien mise avec des performances musicale et dansée, ainsi que la lecture de textes et de nombreuses prises de paroles, notamment par Diane Polson, de la Première Nation anishnabe de Long Point, l’environnementaliste Laure Waridel et la comédienne Ève Landry.
« Je pense que ça été bien marquant. Les gens qui étaient là nous disaient : Ouf je vais me rappeler de ça longtemps », a déclaré d’entrée de jeu Isabelle Fortin-Rondeau. « C’est très puissant la mainmise de ces industries-là sur une population. Certains ça les rend anxieux de critiquer la Fonderie, ils se sentent déloyal même s’ils n’y travaillent pas. D’avoir des marches où, bon on a eu 500 personnes en fin de semaine, les autres fois c’étaient autour de 1000, on se dit il y a peut-être 5 fois ce nombre-là de personnes qui ne viennent pas dans la rue mais qu’ils n’en pensent pas moins. En quelque part, c’est un exploit de faire sortir autant de gens quand on sait à quel point c’est délicat d’être vu publiquement en train de critiquer la Fonderie. »
Il faut dire que les Mères au front et leurs alliés étaient gonflés à bloc pour manifester avec l’annonce la veille, le 12 octobre, que « des analyses ont démontré que plus de 6 fois la moyenne annuelle autorisée de plomb a été émise et détectée en une journée à Rouyn-Noranda ». À cela s’ajoutait les récentes prises de position du gouvernement du Québec et de la mairesse de Rouyn-Noranda, Diane Dallaire, qui ont minimisé les effets néfastes de la Fonderie Horne sur la qualité de l’air de la ville, en faisant état d’une amélioration de la situation.
« C’est sûr que c’est frustrant. On trouve ça très ironique, dans le sens que si tu veux que ta ville ait une image que l’air est sain, bien fait que ce soit le cas. Ne fait pas semblant que tout va bien. On a l’impression qu’on nous demande de tous faire semblant que tout va bien, puis comme ça les gens vont oublier pis là ça va revigorer la ville », a déploré la militante.
« Je ne sais pas si c’est le gouvernement actuel, la CAQ plus particulièrement, c’est surtout avec eux qu’on deal depuis le début. C’est sûr qu’on a vraiment le sentiment qu’ils sont très décomplexés dans leur mépris, dans leur attitude un peu « mononc ». On sait que le député local, dans des rencontres où il pensait qu’on ne connaissait pas des gens, a dit que nous sommes des petites madames chialeuses, des petites madames stressées pour rien. Le député parle de nous comme ça mais c’est un petit milieu. Ils ne font même pas semblant en disant « oh oui, on comprend vos préoccupations », donc on peut leur donner ça ils ne sont pas hypocrites », ajoute Isabelle en riant.
« La Ville aussi, les conseillers et la mairesse, on a senti qu’elle était fâchée contre nous, qu’on ne lâche pas le morceau. Mais c’est l’air qu’on respire! S’améliorer ce n’est pas la réponse à tout. J’essaie de trouver une image moins trash, mais celle qui me vient c’est comme si tu disais que l’an passé j’ai assassiné 20 personnes, cette année j’en ai juste assassiné cinq, ça s’améliore. Je pense en fait que la pression citoyenne fait en sorte que ça s’améliore. Si personne n’avait rien dit, si les médecins n’en avaient pas parlé, probablement qu’on serait encore dans les mêmes permissions d’avoir des émissions de 100 nanogrammes d’arsenic par année. On n’a pas l’impression non plus que ce sont les élus qui ont mis cette pression-là. Je pense que ça nous prouve qu’il faut mettre ça sur l’espace public, ça devient un peu plus gênant après pour le gouvernement de ne pas s’en occuper. C’est dur à défendre, de dire ah moi ça ne me dérange pas que les enfants soient contaminés. »
Banalisation dans les médias
Les militantes de Mères au front ont remarqué qu’une certaine banalisation du dossier en faveur de la Fonderie Horne semble s’être installée dans le traitement médiatique.
« Oui ça fait quelques articles qu’on voit passer qui le font. C’est un dossier qui est aussi extrêmement complexe, technique, scientifique. On comprend que c’est compliqué, puis souvent on a des déceptions parce qu’on compare des pommes avec des oranges. Par exemple, les taux de cancers ça fait des pics, mais c’est compté par tranches de quatre ans. Donc là, la dernière tranche qui est sortie bien les cancers ont un peu redescendus à Rouyn, mais les gros titres c’est « Les cancers du poumon ce n’est plus un problème ». On comprend que ce sont des journalistes généralistes qui essaient de vulgariser des trucs scientifiques. Nous on a l’impression parfois qu’ils sont un peu à côté, mais en même temps ce n’est pas leur unique dossier », a indiqué Isabelle Fortin-Rondeau.
Elle précise également que l’opinion en est peut-être la cause puisque, de près ou de loin, la plupart des Rouynorandiens ont des liens avec la fonderie de Glencore.
« On vit tous dans la même ville, on peut avoir des gens proches de nous qui travaillent à la Fonderie. Ce n’est pas facile et il y a un aspect psychologique qu’on ne peut pas banaliser. Dans une ville qui a été mono industrielle pendant des années, bien c’est la main qui te nourrit. Peut-être que ton père a travaillé là, peut-être que ta grand-mère a travaillé là, fait que ça devient un peu imbriqué dans notre Adn, dans notre identité, donc de critiquer ce n’est pas banal. On sait que ça a causé des chicanes de famille, c’est terrible. De notre côté, on n’attaque jamais les travailleurs, c’est pas du tout ça l’enjeu. Mais je comprends que quand c’est ça ton emploi et que c’est dans les nouvelles à toutes les semaines, ça doit être difficile. »
Projet Horne 5
Le projet de mine souterraine Horne 5, qui fait l’objet d’une enquête du BAPE, a soulevé beaucoup d’inquiétudes au niveau environnemental et socioéconomique, inquiétudes qui ont été entendues lors de nombreuses séances publiques en septembre et en octobre derniers.
« On a déposé un mémoire et on s’est positionné contre le projet. C’est sûr qu’au départ on a étudié ce qui est proposé, mais dans un milieu qui est déjà autant sous pression qu’à Rouyn-Noranda, d’aller ajouter une mine dans ce cocktail-là et de mettre ça sous les installations d’acide sulfurique de la Fonderie c’est préoccupant. Ça peut ne jamais arriver, mais le fait d’aller très en profondeur ça crée des tremblements de terre et s’il y a des bris de conduite à la Fonderie Horne on peut parler de morts, ce serait terrible », s’inquiète Isabelle.
« On est comme une zone sacrifiée à Rouyn-Noranda. C’est comme si le gouvernement s’est dit on a besoin de cuivre pour notre projet d’électrification, on veut développer des mines, ben tant pis ils sont juste 42 000 personnes, tant pis s’ils développent plus de maladies rares. On a vraiment eu ce sentiment que le gouvernement faisait le choix de nous sacrifier », conclue-t-elle.
L’organisation de Mères au front est à l’heure des bilans et de la planification de ses prochaines actions. Elle poursuit la campagne des cartes postales adressées à François Legault.
Une vidéo intitulée « Zones sacrifiées » est disponible sur les réseaux sociaux de Mères au front pour revoir les moments forts de la manifestation du 13 octobre, accompagnés d'un texte de Véronique Côté et lu par celle-ci.