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Il y a de ces livres qui laissent une trace indélébile dans votre âme, comme Les « elles » de Juliette (Éditions de l’Apothéose) de l’Amossoise Thérèse Veillette, qui raconte son histoire truffée de grands deuils mais, surtout, remplie d’amour et de résilience.
Le concept d’autobiographie fictive est inédit et nous transporte de la réalité à la fiction, d’un chapitre à l’autre. Dans les chapitres pairs, l’auteure nous raconte son chemin peu banal de sa naissance à maintenant, puis dans les chapitres impairs, côté fiction, on rencontre Juliette dans l’au-delà, ou plutôt dans l’espace entre notre monde et le repos éternel, veillant sur sa fille Thérèse.
« Juliette, c’est ma mère. Elle est décédée quand j’avais 5 ans. Je ne l’ai pas connu et je me suis créé une mère avec ce que les gens m’ont raconté, une espèce de casse-tête que j’ai créé puis que ça doit être ça ma mère. J’ai décidé, dans l’histoire, de la faire revivre parce que je me disais qu’elle ne devait pas vouloir partir. Elle était malade; elle avait la sclérose en plaque. Elle avait juste 31 ans. Donc, elle ne veut pas partir, elle reste là pour me surveiller. Même si je deviens adulte à travers l’histoire, bien elle ne veut pas quitter », m’a expliqué Thérèse.
Avec la dimension Juliette, l’impression de devenir un témoin privilégié de la vie de l’auteure s’installe.
« Je ne pouvais pas la laisser toute seule, fallait qu’elle ait une interaction, donc j’ai inventé le personnage d’Antoine, qui lui n’a jamais aimé dans sa vie et il doit trouver ce qu’il a à travailler. Il tombe en amour avec la belle Juliette, puis c’est ça, on va les voir évoluer à travers l’histoire », a ajouté Thérèse.
La vie atypique de Thérèse est particulièrement intéressante à suivre en plus de sa conception de la vie après la mort qui l’a réconforté lors de la perte de sa fille.
« Tu ris, tu pleures pis c’est rempli d’amour. Même si tu ne me connais pas, tu ne peux pas finir indifférent après la lecture du livre. C’est rempli d’espoir. C’est ce que je voulais; laisser de l’espoir, de la place au bonheur. Le pire c’est que quand j’ai commencé à mettre ma vie par écrit, moi je pensais que j’avais eu une super belle vie. Mais là quand tu mets tes malheurs bout à bout, tu fais ok je ne l’ai pas eu facile. Mais elle était belle quand-même parce que autour de moi il y avait plein d’amour. Autour de moi il y avait des gens qui étaient aimants, bienveillants. Quand ils disent que ça prend tout un village pour élever un enfant, bien c’est mon cas! Avec le livre, j’imagine ce qu’il se passe après la mort. Comme parents, quand ton enfant décède, c’est des questions qu’on se pose. Ton rôle de parents c’est de protéger ton enfant, puis là tu ne peux plus le faire. C’est quoi qui lui arrive, elle est où? Moi bien dans le livre, j’invente tout ça. Et ce n’est pas une question de religion ni de croyances. J’ai le droit moi de l’inventer, c’est moi qui écris le livre. On n’a pas de pouvoir là-dessus, fait que moi je l’ai inventé », a-t-elle affirmé en riant.
D’un deuil à l’autre…et l’amour
Thérèse Veillette fait partie de ses personnes qui possèdent une résilience incomparable. Les « elles » de Juliette nous fait vivre ces moments douloureux où l’auteure perd son père, sa grand-mère et sa fille, mais aussi la belle histoire d’amour avec Rémi.
« Mon père est mort quand j’avais 16 ans. Je venais juste de rencontrer mon mari, Rémi mon conjoint. Dans l’histoire, c’est Juliette qui le met sur mon chemin. Je me disais que ce serait donc bien beau si Juliette savait que mon père allait mourir et qu’elle mette Rémi sur mon chemin », m’a raconté l’auteure. « C’est sûr que j’aborde le sujet du deuil, le deuil de mes parents, mais à travers ça je vis ma vie, je fais ma famille. Je parle de carrière; j’ai été éducatrice pendant 20 ans. À 40 ans, j’ai décidé de tout lâcher et de m’en aller enseignante. Je suis aller faire mon bac en enseignement. Jusqu’au moment où ma fille décède, ma grande fille Catherine de 21 ans qui décède d’un accident d’auto. Ça prend une grande partie du livre, peut-être le tiers du livre. »
Comme dans le livre, le deuil de Catherine prend une grande place dans la vie de sa famille. Le couple de Thérèse et Rémi a quand-même tenu bon et le deuil s’est transformé en partage.
« Je ne suis pas une fille qui s’apitoie, je suis une fille d’action. Je m’en suis sortie à ma façon, puis je voulais avec le livre proposer ça aux autres. Parce qu’on est porté à s’isoler, mais faut parler justement. Dès le départ, mon conjoint et moi, on en a parlé du décès de Catherine, on ne veut pas cacher ça, c’est une trop grosse peine. On en a parlé énormément. On a pleuré beaucoup aussi, mais à un moment donné tu arrives à en parler sans pleurer. Ça ne veut pas dire qu’on a plus de peine, mais peut-être que c’est le temps d’aider les autres, donner des outils », m’a-t-elle confié. « Il y a quatre couples sur cinq, dans les cinq années qui vont suivre le décès d’un enfant, qui se séparent. Et on ne vit pas ça pareil. On a les deux de la peine, on a mal, mais il y en a un qui pleure moins que l’autre et qui vit ça plus en dedans. Pis là pourquoi toi tu ne pleures pas et moi je pleure…Donc là, c’est facile d’entrer là-dedans, mais nous, on se parlait et on se donnait des trucs. Le matin, aussi simple que demander : Sur une échelle de 1 à 10, comment tu vas? Parce que ça ne paraît pas des fois que tu ne vas pas bien. Un disait qu’il était à 2, l’autre à 6, bien le 6 prenait soin du 2. C’est des petits trucs dont je parle dans mon livre, à travers l’histoire. Je ne les énumère pas, mais je les raconte. C’est ce qui a fait que nous autres on a passé au travers. Ça fait 36 ans qu’on est ensemble, on n’est pas à l’abri d’une séparation, mais si on se sépare ça ne sera pas à cause de la perte de Catherine. »
Une fille de projets
Thérèse Veillette c’est « une fille de projets ». Depuis le décès de Catherine, ils se sont enchaînés jusqu’à l’écriture de Les « Elles » de Juliette qui est le dernier de ces projets en lien avec la perte de sa fille.
« Tout le monde me disait que je devrais écrire, mais moi l’écriture ce n’est pas ma tasse de thé, moi c’est la lecture. Puis je me suis dit qu’écrire ma vie, mon témoignage de comment je m’en suis sortie, pourrait peut-être aider quelqu’un. Donc, j’ai commencé à écrire parce que là j’avais un but. Et c’est devenu un accomplissement, une conclusion des projets en lien avec Catherine. Mais je ne dis jamais « jamais » parce que je suis une fille de projet! »
Pour se reconstruire, Thérèse a pris une pause professionnelle de deux ans. Deux années qu’elle a utilisé pour faire des projets, sa méthode bien à elle pour passer au travers son deuil. C’est d’ailleurs pendant le premier projet, alors qu’elle courait pour sa fille un 5 km, que le récit de son roman s’est construit dans son esprit.
Une course, des chandails et du thé
« Catherine c’était une fille d’action. Elle était inscrite à une course à pied, donc une de ses amis m’a dit qu’elle faisait la course pour Catherine avec d’autres. Au début, on était supposé être une trentaine puis finalement on a fait faire 500 chandails pour Catherine. On s’est mis à vendre les chandails pour remettre les profits au Refuge Pageau, une cause qui lui tenait à cœur. J’en ai vendu 300! Puis là, on a participé à la course avec même les oncles et les tantes qui ne couraient jamais. On s’est donné! On était environ 250 à courir pour Catherine », a raconté Thérèse.
« Après ça il me reste 200 chandails avec la face de ma fille dessus, qu’est-ce que je fais avec ça? Un peu plus tard, ma cousine m’envoie une photo d’elle sur la plage à Cuba, elle et son mari avec le chandail de Catherine, puis elle me dit : Regarde, on est avec Catherine en voyage. Puis après, je reçois une demande d’un de mes élèves qui va participer à un tournoi de quilles en Taïwan, qui voulait avoir le chandail de Catherine pour l’amener avec lui. Donc là je me suis dit : Ok, on va voyager avec Catherine. J’ai donné les 200 chandails autour de moi à des gens qui voyageaient ou qui pratiquaient des activités. Donc tu pouvais aller à la pêche avec le chandail, prendre une photo et me l’envoyer sur la page Facebook « Je voyage avec Catherine ». Elle adorait voyager, donc j’ai continué avec l’idée. J’ai épuisé les 200 chandails comme ça et la covid est arrivée, donc le projet s’est terminé. »
Après les chandails, Thérèse s’est lancée dans le thé avec Thé pas seul, un projet qui lui a permis d’aider les autres vivant un deuil.
« Ensuite, une connaissance a perdu son enfant. Je ne la connaissais pas beaucoup mais je suis allé la voir, parce qu’entre mamans tu comprends ce que l’autre vit. Je me suis demandé ce que je pourrais faire pour elle, lui donner pour lui faire du bien. Ça faisait déjà un an que Catherine était décédée. Puis je me suis dit que ce que moi me fais du bien, c’est boire le thé. Catherine était intense dans sa découverte de thé. C’était une petite activité qu’on faisait ensemble. Je me suis mise à boire son thé quand elle est partie, puis ça me faisait du bien. Je pensais à elle et ça me réconfortait les journées difficiles. Donc j’ai fait un autre projet, le Thé pas seul. Plein de monde sont embarqué dans le projet et tous les profits étaient donnés à Prévention suicide Amos, parce que je me disais que des parents qui vivent le deuil d’un enfant pourraient avoir besoin de ce soutien. J’avais le goût de faire ma petite part et parler aussi de santé mentale. »
Deux pages lues
Un fait touchant : Catherine a eu connaissance du livre de sa mère dans les balbutiements du projet d’écriture et en a été en quelque sorte l’instigatrice, alors qu’il n’était destiné qu’à la famille.
« J’avais écrit deux pages avant que Catherine parte puis je lui avais fait lire. À ce moment-là, c’était un petit projet pour mes enfants. Catherine me disait souvent que je devrais raconter mon histoire. Elle disait que je n’avais pas une histoire ordinaire. J’avais commencé pour le fun, je lui avais fait lire. Elle m’avait dit que c’était bon et que je devrais continuer. Donc, ç’a pris plus d’ampleur quand elle est partie. Catherine c’était un moteur pour moi de persévérance », s’est souvenu Thérèse.
De la suite dans les idées
Thérèse Veillette a de la suite dans les idées quand elle dit être une fille de projet. Elle ne craint pas de rallier les gens et de passer à l’action surtout pour le bien des autres.
« Ma grande amie est devenue aveugle, donc je lui ai dit que j’allais essayer de le faire audio puis si ça ne fonctionne pas bien j’allais venir le lire sur son divan. Finalement, c’est arrivé avec la belle voix de Véronique Lemay. J’ai présenté le projet au Club Lions d’Amos, qui ont pour mission, entre autres, d’aider les personnes non voyantes et ils ont accepté de financer le volet audio du livre. »
Les « Elles » de Juliette est donc disponible en format audio avec la voie d’une autre Amossoise, sur plusieurs plateformes populaires. Le livre est disponible chez les libraires indépendants.
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