

Amos a longtemps été l’un des endroits avec le moins de patients orphelins au Québec. Cependant, la situation a changé. En trois ans, la population a vu six médecins de famille partir à la retraite et cinq autres quitter la région. MediAT fait le point avec François Aumond, directeur médical et des services professionnels.
Depuis 2023, quelle est la situation?
En 2023, il y a eu trois départs de la région et deux retraites. En 2024, une retraite et un départ de la région. En 2025, trois retraites et un départ de la région. Cela entraîne des impacts significatifs sur les patients. Dans le passé, presque tout le monde avait un médecin de famille à Amos. C’était un secteur choyé. Probablement parce qu’il y avait une attractivité importante en raison de l’organisation de la pratique. Cet âge d’or s’est terminé il y a deux ans avec le grand nombre de retraites.
Combien de médecins de famille ont été remplacés?
En 2023, on en a remplacé trois sur cinq. En 2024, deux sur deux. En 2025, pour l’instant, on en remplace seulement un sur quatre. Jusqu’à l’an dernier, notre équilibre était assez bon. On réussissait à combler nos plans de recrutement. En 2024, pour la première fois, on a laissé des postes vacants. En 2025, c’est très possible qu’on ne réussisse pas à combler tous les postes pour lesquels on est autorisé à recruter.
Combien de personnes desservies par l’hôpital d’Amos n’ont pas un médecin de famille?
Je n’ai pas le nombre exact, mais Amos est encore en-dessous des 20% de patients orphelins, alors qu’on était proche de 0% auparavant. Cela dit, on demeure un peu mieux que la moyenne en Abitibi-Témiscamingue qui, elle, ressemble beaucoup à la moyenne du Québec.
Quels sont les impacts du manque de médecins de famille?
D’abord, il faut préciser que les nouveaux médecins ne peuvent pas remplacer la prise en charge d’un médecin qui part à la retraite. Un médecin de 30 à 35 ans de pratique a pris beaucoup de patients et délaissé peu à peu les charges hospitalières lourdes comme l’urgence, l’obstétrique, l’hospitalisation et les soins intensifs. Il travaille à temps complet, il connaît très bien sa clientèle et il est très efficaces, alors il peut avoir 1000, 1500 et parfois 2000 patients.
Le médecin de famille qui commence sa pratique est obligé par la loi d’avoir des activités en hôpital comme celles énumérées plus tôt : ces activités consomment au moins un tiers de son temps. Dans les deux tiers restants, il doit s’approprier les nouveaux dossiers de patients. De façon réaliste, ça va prendre des années avant que ce nouveau médecin puisse remplacer un médecin qui est parti. Donc, l’impact est beaucoup plus grand que le simple déficit en nombre de médecins.
Concrètement, y a-t-il des bris de service à Amos?
Non, et on n’a pas besoin d’avoir recours aux mécanismes de dépannage. On a un Réseau local de service bien desservi par les médecins de famille. Cependant, quand on parle de prévention, de détection précoce des maladies et du contrôle de symptômes, on est dans un certain vide. Heureusement, on a accès à un guichet d’accès à un médecin de famille qui priorise les demandes en fonction des besoins cliniques. Par exemple, si un adulte en bonne santé attend deux ans pour voir un médecin, les impacts seront moindres. Mais si vous avez 70 ans et que vous faites de l’hypertension et du diabète, vous êtes déjà priorisé grâce au guichet.
Y a-t-il un clash générationnel entre les médecins?
Il y a un clash multi-générationnel sur les façons de faire des baby-boomers, des X, des millénariaux (Y) et des Z qui arrivent. Les jeunes médecins sont beaucoup plus poussés vers une médecine basée sur les preuves, les consensus cliniques et la nécessité de faire des recherches avant de poser certains gestes, alors que les médecins plus expérimentés, qui connaissent très bien leurs patients, sont parfois plus efficaces en allant directement vers un traitement. Il y a aussi plus de précautions qui sont prises par toute jeune personne dans le métier, ce qui est normal : ça entraîne plus d’investigation et de temps pour obtenir et analyser les résultats.
Est-ce cliché de dire qu’un jeune médecin veut prendre moins de patients?
Selon mon avis personnel, il y a effectivement une partie clichée, car un jeune médecin avec 500 patients à sa charge, qui doit faire six shifts d’urgence par mois et une semaine sur cinq d’hospitalisation : son horaire est plein. Il ne travaille pas 35 heures par semaine, mais bien 50 avec la garde. On ne peut pas les comparer aux médecins plus âgés qui ont 1500 ou 2000 patients. Par contre, il y a malheureusement un certain désintérêt de la médecine de première ligne, pas seulement chez les jeunes, un peu partout au Québec. C’est une pratique très lourde qui peut décourager certaines personnes.
Quelles sont vos démarches de recrutement?
On offre une quarantaine de stages rémunérés d’un mois à travers les centres hospitaliers la région, chaque été. Si un étudiant va à Rouyn-Noranda, qu’il adore la région et qu’il veut devenir orthopédiste, il va peut-être choisir d’aller à Amos ensuite. On vise une cohésion régionale pour attirer les médecins de famille et les médecins spécialistes.
On offre aussi des bourses d’études en échange d’années de travail dans la région. On participe aux journées durant lesquelles tous les finissants en médecine de famille sont conviés à Montréal : on les rencontre, on leur transmet l’information et on leur explique les particularités de la région. On participe également aux journées carrière en octobre avec une délégation de médecins de la région.
Que vous disent les personnes rencontrées?
C’est presque toujours positif, car elles connaissent souvent quelqu’un qui a travaillé chez nous. Moi-même, je ne viens pas de la région, mais j’ai fait ma première journée de pratique médicale ici et j’ai toujours eu des bons mots pour l’Abitibi-Témiscamingue.
Cela dit, l’éloignement est un facteur. Tout comme la qualité du transport : pendant la pandémie, c’était désastreux. Pour les médecins sans famille en région, c’était hyper compliqué de rejoindre les leurs. Nous avons aussi des médecins d’origine étrangère. S’ils peuvent prendre l’avion pour aller à Montréal, ça va, mais si c’est complexe, ça les désintéresse. On est aussi limité dans le nombre de places en CPE. Ça crée parfois un désintérêt ou un départ de la région.
Heureusement, l’hôpital d’Amos a très bonne réputation. C’est probablement pourquoi il n’y avait pas de pénurie de médecins de famille et pourquoi il s’est si bien développé du côté des spécialités, même s’il est dans une ville moins grande que Val-d’Or et Rouyn-Noranda.